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jeudi 27 février 2020, par
Mots : abstème tipule acinaciforme cotir colophon
Gédéon se passionnait à cette époque pour les coqs qui ornent la pointe de nos clochers. Il en connaissait des centaines dans les moindres détails. Il n’était pas le seul, loin de là : un réseau existe, qu’il activait en permanence, pour acquérir de nouvelles infos. On le tenait au courant des moindres travaux de rénovation ou d’entretien des toitures des églises de partout. Chacun de ses déplacements, tant professionnel que privé, était organisé en fonction des calendriers des tâches à venir. Il connaissait toutes les entreprises et tous les Compagnons agréés par l’Église, par les Conseils Départementaux, par les Communes. Il avait des accointances partout, tissées au fil des années, comme une formidable toile d’araignée dont il était l’artisan, le maître et le grand ordonnateur.
Les tempêtes étaient ses amies. Il surveillait plusieurs fois par jour les sites de Météo France. Chaque tuile, lave ou ardoise qui s’envolait signifiait la pose rapide d’échelles, voire d’échafaudages, et sa "tchatche" ainsi que ses connaissances techniques avaient déjà berné plus d’un bedeau et plus d’un chef de chantier. On le laissait grimper, Nikon au coup, carnet en poche. Il filmait, photographiait, croquait sur le vif des gallinacés perchés parfois à quarante mètres au dessus du plancher des vaches. Inutile de préciser que la pratique de cet art le condamne à rester rigoureusement abstème.
On a connu maints retours de fête où le pochetron du samedi soir a voulu plastronner devant un public d’abrutis et s’est retiré à jamais des listes en escaladant un muret... Pas de ça pour Gédéon ! À peine s’il s’était un peu coti genoux et coudes en rampant sur les surfaces rugueuses des toits.
Gédéon se régalait aussi à visiter les musées des traditions populaires, où les coqs réformés finissent ordinairement leur carrière, loin des frimas, des orages et hélas loin des paysages somptueux vus de haut ! Là, Gédéon a tout loisir à contempler de près l’animal métallique, à détailler l’ordonnancement acinaciforme de ses plumes, à mesurer les proportions de l’animal, parfois fantaisistes...
Bien sûr, Gédéon disposait d’une documentation considérable traitant de l’objet de sa passion. Il était abonné à une demi-douzaine de publications, toutes françaises, évidemment, et possédait quelques ouvrages de référence -oui, ça existe !-
Anecdote amusante : il avait acheté pour trois francs six sous, dans un vide maison en Saintonge, il y a bien des années, un livre de photographies de clochers en noir et blanc.
En guise de colophon, la dernière page était illustrée de l’empreinte d’un tipule. La bestiole, arrivée d’on ne sait où, avait péri, écrasée sous le poids des coqs de fer !!!
Dom, abstème quoi qu’il arrive...et sujet au vertige !