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dimanche 22 octobre 2023, par
Dans le cadre du festival Du bitume et des plumes, la compagnie Les Philosophes Barbares présentait au public sa dernière création C’est pas (que) des salades.
Un spectacle qui oscille entre théâtre de rue et théâtre d’objets, à mi-chemin entre le bouffon et la satire caustique.
Une fable autour d’un agriculteur, pour mieux dénoncer la situation de tout le monde agricole, pris au piège des dettes et de la PAC.
Engagé et réjouissant, ou comment traiter un sujet grave sans se prendre au sérieux.
Sous les plaisanteries, la rage !
La compagnie Les Philosophes Barbares cultive une manière de dédramatiser des sujets sérieux en prenant le détour d’un traitement qui fait fi du cérémonieux.
Aborder le drame et le débat de société par l’humour, la dérision, l’absurde : c’est l’ambition que l’on retrouve au fil des créations de la compagnie, qui ne craint pas de pousser le bouchon trop loin au passage, tant que cela sert le propos.
C’est pas (que) des salades fait donc feu de tout bois. Tout y passe : on patauge dans la gadoue, on enchaîne les personnages stéréotypés et les scènes improbables, les gags visuels et l’humour vache – ici on devrait plutôt dire l’humour cochon, l’un des protagonistes centraux étant le cochon Hector.
Les jeunes spectateurs s’amusent autant que les plus vieux, il y en a pour tout les goûts, avec des niveaux de lecture suffisamment divers.
On n’est cependant pas dupe : l’humour est un contrepoint au drame sous-jacent. Il agit aussi comme un révélateur de l’humanité des protagonistes, et surtout de l’absurdité des situations de la vie réelle – ici spécifiquement du système productiviste appliqué à l’agriculture intensive moderne.
C’est aussi la violence cachée et la taille des enjeux, qui rendent pertinents les exagérations et les moments de folie – en la matière, on a de belles bouffées délirantes tout-à-fait énormes et complètement hallucinées…
Les prétextes gigognes au service d’un théâtre politique
Pour nous conduire dans l’histoire singulière d’un agriculteur trop vite poussé, C’est pas que des salades enchaîne du coup les prétextes et les retournements de situation.
On part d’une vente aux enchères, dont on comprend immédiatement qu’elle masque un drame qui ne sera révélé qu’à la chute de l’histoire. Entre-temps, la narration passe par une série de flashback où le temps se dilate et se contracte, entrecoupée de scènes surréalistes qui symbolisent les influences que la trajectoire individuelle du personnage subit.
C’est habile et lisible, en même temps que foutraque, mais d’un foutraque heureux, qui permet de laisser de la respiration à l’inventivité des procédés, et à une certaine forme de poésie qui joue dans le registre du rêve et de l’hallucination.
Mettre en scène le jeune agriculteur comme AGRIKULTOR, le super-héros à la cape verte qui fait pousser des milliards de salades avec son pschitt-pschitt magique, c’est une image habile pour suggérer les séductions que l’agriculture moderne, hyper-dépendante des machines et des intrants, exerce sur ces personnes qui, à l’origine, s’engagent par amour du travail de la terre.
La chute finale est particulièrement rapide et rude, comme en définitive la réalité dont elle se fait l’écho. C’est un parti pris de ne pas offrir de résolution ou de tracer d’issues possibles, juste de poser le problème et de laisser le public repartir avec ses questions. C’est peut-être un peu raide pour les jeunes spectateurs, en tout cas ceux en âge de comprendre. Mais quand on choisit d’aller jusqu’au bout d’un problème et d’en montrer les conséquences terrifiantes sur le plan humain, c’est un procédé qui se tient.
La technique, c’est pas non plus des salades
Là où le spectacle réussit, c’est qu’il tente de ne rien céder sur le plan de l’exigence technique. La bouffonnade permanente et la construction syncopée du récit tiennent parce que le jeu est bon – sinon tout se diluerait dans un n’importe quoi qui s’auto-parasiterait jusqu’à l’illisible.
Au contraire, les trois interprètes se maintiennent à un niveau élevé, avec un jeu convaincant, juste, qui arrive à trouver de la nuance même dans la caricature et même dans le surjeu, parfaitement assumé. On peut également mettre à leur crédit le sens de la rue et de l’improvisation : la projection est impeccable, les incidents sont immédiatement incorporés et retournés avec un beau sens de l’impro. Le fait que les interprètes se tiennent dans des espaces narratifs fluides, où ils sont narrateurs et multitude de personnages, manipulateurs à vue et quasi-régisseurs plateau, les aide beaucoup dans ce sens.
La manipulation et l’usage des objets fonctionnent très bien. Situations claires et lisibles, supports bien exploités, espaces de représentation multiples, tout est immédiatement compréhensible. Les effets spéciaux de bric et de broc, le décor fait de trois bouts de rien, n’handicapent en rien le propos, et donneraient même du charme à l’ensemble.
En somme, on passe un bon moment, mais on repart sans pouvoir faire autrement que de porter la question brutalement posée. On est libre de l’oublier aussitôt, mais on ne peut faire autrement que de la recevoir en pleine poire – encore une fois, c’est un parti pris assumé.
Peut-être que certaines pistes sont trop gratuites, ou trop peu explorées – comme les cauchemars traumatisants du héros figurant la mort d’Hector – dans la mesure où on ne voit pas comment elles servent le propos. On peut aussi choisir de ne pas bouder son plaisir et goûter simplement l’occasion de profiter d’un humour gore sans filtre. Dommage en tout cas que le format ne permette pas d’aborder de manière plus complète le défi qu’est la nécessité de sortir l’agriculture de l’ornière – la PAC et l’Union Européenne sont loin d’être le seul problème. Mais l’ambition de ce spectacle n’est pas de faire du théâtre documentaire !
Un spectacle drôle mais grave, bordélique mais intelligemment construit, de théâtre avant tout mais avec des objets. Diaboliquement efficace, autant que fréquentable !
création collective de : Glenn Cloarec, Marion Le Gourrierec, Juliette Nivard
régie : Lucie Vieille-Marchiset
musique originale : Arthur Delaval
Festival Du bitume et des plumes
Besançon, septembre 2023