jeudi 15 mars 2012, par
A celles et à ceux :
qui n’ont jamais sacrifié au rite du repas pris chez Mc Quick ou Burger Do Truc, dans un de ces temples dédiés aux nourritures sans consistance, à la saveur unique et calibrée, un de ces lieux dont l’environnement sonore et visuel a été calculé au plus juste pour que, dès l’acte essentiel effectué -le passage à la caisse- le client ne souhaite qu’une chose : se tirer fissa !
A celles et à ceux :
qui ont su garder la tête dure et qui sont restés rebelles au bourrage de crâne :
" ça se passe comme ça chez Mc Truc Burger "
A celles et à ceux :
qui auront réussi, à l’heure où la faim commence à mobiliser les énergies d’une préado toujours sur la brèche et dont les mâchoires ne craignent pas l’ouvrage.
A celles et à ceux qui auront réussi, disais-je, à détourner l’attention de l’affamé(e) de l’attirail racoleur distillé par les responsables marketing de Monsieur Mac Hambunaldking.
A celles et à ceux :
qui auront su s’interdire la moindre esquisse de négociation avec l’ogre(sse) à cours de protéine :
" M’enfin, j’ai faim, j’peux plus attendre !"
" M’enfin, ça ira plus vile, on sera servi illico :’ "
« M’enfin, depuis le temps qu’on court à droite et à gauche, j’en ai marre, je veux me poser un coup. »
« M’enfin, si on mange tout de suite, avant tout le monde, on gagnera du temps. »
« M’enfin, chez Mac Machin, y a pas besoin de mettre la table. »
.. « M’enfin, c’est pour toi que je dis ça, pour une fois, t’auras pas à cuisiner ! »
« M’enfin, pour une fois, on pourrait bien y aller, chez Quicknald ! »
A celles et à ceux :
qui n’y ont jamais mis tes pieds contraints et forcés.
A celles et à ceux :
qui, pour une raison on une autre ne pourront y échapper...
A celles et à ceux :
qui connaissent, mais qui sont d’aussi mauvaise foi que moi...
Voilà.
En très peu de temps, tu te retrouves avec une boîte sur ton plateau, une poignée de frites qui s’y renversent immanquablement et une timbale en carton contenant une quelconque boisson trop sucrée.
La boîte, dès ouverture, livre son "précieux" contenu : un pain rond fendu en trois, abritant deux portions de viande prédigérée, deux carrés d’une matière jaune cire que même des Hollandais refuseraient de nommer fromage, c’est tout dire, une frange de dentelle de salade fade, une limace verte au vague aspect de cornichon, sucrée, et une forte dose de sauce indéterminée et visqueuse.
Premier souci : sortir le tout, en une seule fois, de la boîte. Le pain est brûlant. La boîte est profonde. Si tu plonges la main, tu cries. Si tu te contentes de deux doigts, le pseudo sandwiche baille, et largue un étage, ... sur ta cravate, que tu risques de mâchonner tant les textures de l’ensemble sont proches.
Tu râles.
Tu reposes.
Tu reprends en serrant fort. C’est oublier que ce pain a la consistance d’une éponge oubliée depuis trois jours dans une bassine d’eau croupie.
Le pouce perfore le chapeau, l’ongle s’enfonce dans une des portions de viande. T’as déjà ruiné le minuscule carré de serviette qu’on a bien voulu t’offrir à la caisse.
La manche droite de ta veste est luisante de graisse.
Merde.
A la table voisine, c’est-à-dire à environ quatre centimètres de toi, les ados, rompus depuis longtemps à ce sport, te lorgnent avec un air effaré, en savourant du bout du bec la pitance que tu ravages sans parvenir à la saisir.
Saletés de jeunes !
Bon, tu te ressaisis.
La boule de pain garnie, épaisse comme un édredon et molle comme une couette a daigné se laisser extirper de son emballage.
Test narine : Zéro, ça sent rien.
Tu présentes la chose, bouche ouverte.
Trop épais.
Tu recommences, bouche grande ouverte.
Encore trop épais.
Tu appuies pour resserrer.
Vlan ! Une giclée de sauce en guise d’épingle de cravate.
C’est le diable ce truc.
Et pas moyen d’attaquer par le coin : c’est rond !
Tu te résignes à becqueter déjà le couvercle... Grave erreur.
1 : C’est fade.
2 : T’as plus rien pour bloquer le steak du haut, donc : La salade te tombe sur le froc.
La sueur te vient aux tempes. En l’épongeant tu ne manques pas de te tartiner une demi louche de mayonnaise sur l’oreille.
Et merde.
Tu donnerais deux litres de ton sang pour un couple fourchette / couteau.
A la table en face, trois séries de petits jeunots se sont déjà succédées.
A ta table, ... c’est lendemain de bombardement.
Mais tu es pugnace. Tu t’entêtes, tu l’auras, Nom de Dieu, tu l’auras !
Tu saisis entre le pouce et l’index chacun des éléments que tu croques ...ou plutôt que tu tètes.
La nourriture semble pré mâchée.
Test saveur : zéro, ça sent rien. Viande, pain, salade, sauce, tout est vaguement sucré, douceâtre.
C’est tout.
Pas de caractère, pas d’arôme, pas de personnalité, Nib. Tu croirais bouffer du Balladur
T’es presque content de trouver des bulles dans ton coca : enfin quelque chose se passe sur tes papilles ; c’est pour te dire.
Bon, on se casse ?
Oui, parce que maintenant que tu n’es plus occupé à te bagarrer avec ce trompe faim, tu commences à prendre conscience de l’inconfort. Table trop étroite, siège pas adapté,( t’as les jambes tirebouchonnées pour éviter de piétiner tes voisins immédiats...), présence, juste à côté de toi, du container où il va te falloir vider les reliefs de ton plateau, portes des toilettes, style saloon, qui grincent quarante fois par minute...
Heureusement, tu avais pressenti que le café serait moins épais que la sauce. Tu n’en avais pas pris. Ouf !
© Dominique Villy