Œil de DOM
Se coucher tard nuit. Me lever matin m’atteint.

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Fin d’été...

mardi 20 mars 2012, par Dominique Villy

Dernière soirée à déambuler sur le port, à la tombée du jour.

Derniers regards -surpris plus qu’envieux- sur les yachts salons sagement alignés sur le môle, attendant que quelque marin de pacotille se décide à leur allonger la laisse.

Dernière observation désabusée du contenu pur toc des boutiques d’artisanat local, kitsch & ringard associés, des éventaires de cartes postales, -que n’a-t-on dit de ces rectangles de papier glacé-, côté face, la grosse Lulu en string léopard sur fond de recette de moule béchamel, côté pile, le détail d’une journée type d’estivant, description de la résidence, pastis partie avec les voisins à midi pétant, pescadou frescou de chez Mammouth à treize heures, sieste ravageuse de matelas, au plus chaud de l’après-midi, pâtés de sable entre les étrons de caniches vers dix-sept heures, tour de trottinette à six places sur la corniche pour retendre un peu les tissus quand le soleil décline et se fait moins agressif, repas hâtif quoique reconstituant, et, ... en piste pour jouer les badauds, p’tit short blanc bien repassé, lunettes miroir sur le front, démarche féline, nonchalante, genre tout en muscle, mais dans la retenue, buste sanglé dans l’tee shirt, oeil aux aguets, narine frémissante à l’air du large, moustache policée, lippe gourmande...

Fin d’été, fin des vacances.

Dix mille crabes dans mon genre, qui musardent sur cette jetée, à s’demander ce qu’ils fichent là, tout en s’disant que dans quelques semaines, quand les Dieux du temps pourri et de la gouillasse réunis leur enverront sur la tronche des sacs de flotte et des tombereaux de boue pour se faire des cataplasmes, finalement, avec le recul, ils trouveront un certain charme à ces promenades sans prétention, le long des flots, parmi les baraques à frites et les bars à fric.

Fin d’été, fin des vacances.

On dirait qu’ils se sont donnés le mot : ils passent tous par la même ruelle, précisément celle que je voulais traverser, pour passer de la terrasse du bistrot du cactus orange à celle du sculpteur sur coucourde sèche.

Moutonnier en diable, l’estivant retrouve d’instinct le vieux réflexe qui le guide dans les multiples cohues des boulevards parisiens où il a ses habitudes : il marche sans lever le nez, occupé à poursuivre son but.

Je suis moi-même l’estivant type. Donc je poursuis mon but, sans me préoccuper du trafic sur cette allée piétonnière encombrée. J’ai oublié toutes les règles de sécurité en matière de circulation pédestre.
Je baguenaude, par sauts de puce, de droite, de gauche, d’arrêts/catastrophe en redémarrages foudroyants, sans en avertir les congénères qui suivent et suent sang et eau pour éviter mes écarts et ceux de ma conduite.

Je traînasse, je rôde, je bats de la semelle, furetant, fouinant, scrutant, je taille dans le réelles images de la vie qui suinte, j’observe, je scanne, je compile et j’entasse dans mes mémoires vives les tranches du spectacle que je me promets de ressortir pour les accommoder à ma sauce.

L’équipement de base du badaud moyen ne serait pas complet sans l’indispensable micro sac à dos, tu y jettes pêle-mêle tes clefs, ton adresse si t’es pas tatoué, ton tatoo et tout le toutim...

Mais surtout, n’oublie pas l’acquisition, de vérifier qu’il est bien pourvu des deux anneaux, au niveau des aisselles, qui te serviront à glisser les pouces, c’est dingue comme des mains qui pendouillent au bout des bras finissent par peser !

Tu penses bien que le mien a toutes les options ! Il est homologué ! Je peux ainsi parcourir les plus étroites ruelles de toutes les villes du monde, coudes au corps pouces verrouillés dans les touffes de dessous-de-bras, l’air dégagé, sans ressentir la moindre fatigue.

Un vrai beurre.

Je zigzague dans les aIlées du port sans rien regarder de précis, mais sollicité par la nuée qui m’entoure, frayant mon chemin par quelques coups d’épaule sournoisement assénés à ceux qui, trop occupés à suçoter leur triple cornet de crème glacée chewing­-gum/pâté/bacon -ou leur copine- ne me laissent pas d’autre moyen d’affirmer mon droit à une portion du pavé.

(Sous le pavé, la plage.) Dicton soixante-huitard.

J’avais pas vu qu’elle me suivait de si près.

J’ai d’ailleurs pas l’habitude qu’elles me suivent de si près !

La fille, en robe légère taillée dans de la toile d’araignée, c’est pas à cinquante centimètres, qu’elle marche, derrière moi. C’est à cinq (5) millimètres. N’importe qui d’autre aurait senti un souffle chaud de bête en rut sur sa nuque.

Moi pas.
Je suis d’une distraction qui frise l’inconséquence.
Un mufle.

Je sais pas depuis quand elle est dans mon sillage. (?)
En fait, elle devait regarder ailleurs. Elle ne m’avait sûrement pas vu. (T’imagines la myopie !)

Brutalement, je me fige.

Interpellé par je ne sais plus quoi, j’effectue une rotation quasi complète du corps, tout en stoppant net ma marche et en redémarrant simultanément dans la direction opposée.

  • Blocage des quatre pieds, orteils tendus, griffes crochées au macadam.
  • Inversion de poussée des réacteurs.
  • Crissement des semelles, fumée noirâtre, odeur âcre de la gomme en fusion.

La fille qui suit n’a rien vu venir. Elle avance.

La fille qui suit n’a toujours rien vu venir. Elle avance. Elle approche.

Ma vitesse de rotation est telle que les doigts de ma main située sur l’extérieur s’ouvrent ; seul le pouce reste arrimé à la bretelle du sac à dos.

La fille qui suit continue à ne rien voir venir. Elle avance encore. Le point de contact entre elle et moi est imminent.

Je prends conscience de sa présence.

J’accentue la rotation pour ne pas me la prendre en pleine tronche.
Trop tard.

Il s’en faut d’un rien.

Pas de choc. J’en suis le premier surpris. Cependant, Je sens comme une résistance... Je lève les yeux vers elle.

Gloups ! Elle a les doudounes à l’air, mais ça la fait pas rire.
En effectuant mon demi­ tour assassin, d’un coup de petit doigt inquisiteur, j’ai harponné et j’ai ruiné ses deux bretelles.
« - Tenez, ça doit être à vous. 

Je lui rends sa guenille, et elle remballe.

Rideau !