Œil de DOM
Se coucher tard nuit. Me lever matin m’atteint.

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Il faut gueuler !

dimanche 15 avril 2012, par Dominique Villy

Finalement, il vaut mieux gueuler !

Pendant des années, j’ai été persuadé que la meilleure solution, pour obtenir ce qu’on veut, était de se présenter sous un jour plutôt sympa, et de manifester un maximum de compréhension à l’égard des autres...

Et bien non !

Erreur !

Grossière erreur...

Si tu te présentes avec un bon sourire au mec qui détient la clé de ton souci, il y a toutes les chances qu’il te prenne pour une petite crotte sèche. D’une chiquenaude dédaigneuse, il va t’envoyer dans les cordes, et c’est vexant.

Si au contraire tu arrives en fulminant, et si tu gueules avec suffisamment d’assurance, il va flairer l’emmerdeur, et il va faire un maximum pour se débarrasser du problème, en le traitant.

Et toi, tu ne souhaites rien d’autre...
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Il faut gueuler. Fort.

Et si possible, il faut être le premier à gueuler.

Et donc, pour ne pas risquer de se faire gueuler dessus par un interlocuteur qui aurait compris la même chose, il faut gueuler d’emblée, avant même que le problème ne se pose.

Et ça marche.

Et c’est bon.

Vous voulez un exemple ?

Imaginez une école de la ville où vivent quotidiennement 45 petits de 6 ans. Deux salles de classe, quelques couloirs, et des toilettes. Chaque soir, le ménage est fait par un petit monsieur en contrat précaire.

... Jusqu’au jour où son contrat arrive à sa fin.

Deux jours se passent, puis trois et rapidement une semaine.

Plus de ménage.

J’empoigne le téléphone, service enseignement, la responsable du personnel d’entretien...

- « Gna gna gni, gna gna gui, gna gna gna..., poliment, s’il vous plaît et avec le sourire, merci, excusez-moi de vous avoir dérangée, gna gna gui, gna gna gnam.

Bon, elle est gentille, la Dame, elle s’occupe de tout.

Une deuxième semaine se passe, sans ménage. Je ne vous dis pas l’état des chiottes. (Là, on ne peut plus dire les « toilettes »)

La colère me prend. Je bondis sur le téléphone, la même bonne femme commence à me bourrer le mou :

-  « Vous comprenez, on ne trouve personne… »

La rage me fait sortir de mes gonds.
- « Vous vous foutez pas de moi, des fois ? »

- « Je vous assure, monsieur, on cherche, on cherche... »

- « Ben, je vous conseille de trouver, parce que moi, j’ai mis de côté tous les sacs poubelles qu’on a remplis depuis quinze jours, et demain matin je viens les vider dans votre bureau !

Bonne journée, madame. »

Le soir même, quelqu’un était là pour l’entretien !

Il faut gueuler, je vous dis.

Un autre exemple ?

Tu imagines que tu viens d’emménager dans un immeuble, où tu ne connais encore personne.

Bon.

Tu as téléphoné à la Lyonnaise Cable, pour savoir si on peut te rebrancher sur le réseau.

Les techniciens viennent, passent une demi-journée à percer, gratouiller, tirer des fils, bidouiller des machins et piétiner ta moquette claire avec leurs gros godillots.

Bon, quand ils ramassent leurs clous, t’es content, tu peux à nouveau regarder la chaîne allemande, qu’est largement aussi con que TF1, mais au moins tu comprends pas tout.

Seul problème : le lendemain, quand tu rentres de la mine, un comité de voisins t’attend sur ton paillasson...

– « Vous comprenez, depuis que les ouvriers ont bricolé chez vous, nous, on ne reçoit plus rien … »

Hop ! Téléphone.

- « Bonsoir madame Lyonnaise Cable, excusez-moi de vous déranger pendant la sieste, c’est au sujet du cable que vous m’avez cablé et que depuis les téléviseurs des voisins sont incapables de fournir la moindre image, et que demain, il y a foot, alors j’vais m’faire saigner, au secours ...

(J’exagère un peu le propos, quand même.)

Réponse laconique du poireau de service : On va voir ce qu’on peut faire, j’envoie une équipe demain après-midi.

Le lendemain, tournée des popotes, au retour de la mine.

- « Ben, non, ça ne marche toujours pas. Ben, non, on n’a vu personne, non, pourtant on n’est pas sorti, on n’a pas bougé... Ben oui, c’est embêtant, à cause du match. »

Merde.

Re-téléphone à la Lyonnaise.

« Mais non, monsieur, on ne va sûrement pas vous envoyer de dépanneur ce soir ! Nous sommes vendredi, c’est le week-end, les équipes n’interviendront plus avant lundi... »

- M’enfin, vous voyez dans quel embarras vous me mettez, j’arrive dans cet immeuble, et d’emblée, à cause de moi, les voisins n’ont plus de télé !

- Monsieur, je n’y peux rien. Si quelque chose ne vous convient pas, je vous conseille de résilier votre abonnement… »

La colère me prend.

 - « Nom de Dieu, vous allez tout de suite me donner votre nom et me passer votre supérieur. Il sera sûrement content d’apprendre comment vous traitez le client !

- Mais il est hors de question que je réponde à vos demandes !

- Entendu, je note l’heure et le numéro, vous bloquez mon appel, vous ne bloquerez pas mon courrier. »

Je raccroche.

La fumée me sort par les oreilles.

Quelques minutes plus tard, un collègue de cette foutue pétasse nous rappelle ; il se montre intelligent et promet de faire le maximum.

- « Ce soir, il est déjà 20 heures, ça ne va pas être possible, mais demain matin, à la première heure, je bloque un dépanneur pour vous. »

A 22 heures, le soir même, un technicien arrive. Il vient de Dijon spécialement pour nous !

Il faut gueuler, je vous dis.

Tiens, l’autre jour, nous conduisions une cinquantaine de gamins à un spectacle, au centre-ville.

A quelques mètres de l’arrêt de bus, le trottoir était encombré, à cause des travaux de restauration du Palais Granvelle. Les petits ont un champ de vision étroit et ne se rendent pas compte des dangers de la rue. Lorsqu’ils sont en nombre, il faut encore compter avec les phénomènes de groupes, bousculades, paniques soudaines ou jeux improvisés.

Autant dire qu’il faut ouvrir l’oeil.

Voilà qu’un type arrête sa voiture sur le peu de trottoir qu’il reste, juste devant la colonne de gamins, et s’apprête à en sortir des cartons de Champagne, apparemment destinés à la banque qui fait l’angle.

Pétard !

Je me hérisse d’un seul coup, j’empoigne la portière fermement, la referme tout aussi fermement et j’aboie au type, en serrant les dents :
- « Vous dégagez le passage, monsieur."

Dans le fond, je m’attends un peu à une réplique.
Eh ben non !
Rien.
Pas un mot.

Le type rentre dans sa voiture et démarre.

J’en suis baba.

Il faut gueuler...
© Dominique Villy