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dimanche 18 mars 2012, par
J’ai fait mon Chirac !
Si !
Je vous le dis tout net.
Vous savez bien, Chirac, le grand, celui des pommes !
Mais si ! Allons faites un effort ; on n’oublie pas si vite !
Chirac, souvenez-vous : il nous a fait chier bien des fois, mais qu’est-ce qu’il nous a fait rigoler... contrairement au nabot actuel !
Tiens, Chirac, quand, à l’occasion d’un bain de foule, il se faisait haranguer un peu sèchement par un énervé, plutôt que de verser dans l’insulte, façon poissonnière, comme le petit à talonnettes, il avait coutume de regarder le quidam droit dans les yeux, et de lui serrer la pince en le gratifiant d’un « Enchanté, moi c’est Jacques Chirac ! »
Tout au moins c’est la légende qui le prétend.
Et moi, ça m’arrange. Je fais mon miel de ce genre de renversement de situation. Je m’en délecte.
J’ai fait mon Chirac !
Je rentrais fourbu et suant d’une randonnée à vélo, j’envisageais sans déplaisir une fourchée de pâtes arrosées d’un petit vin italien pétillant et bien frais.
Je salivais.
Me restait à traverser la ville avant les agapes.
Me fallait traverser l’avenue, à une heure de gros traffic.
Et à l’heure de rentrer à la niche, c’est chacun pour soi !
Plus rien ne compte que l’attrait de la tanière. Lorsque le civilisé rentre, c’est la bête qui conduit le char. Chaque centimètre grignoté est une victoire. Faut pas se mettre en travers, y a péril.
Ça serait dommage de finir écrasé tout plat sans avoir pu savourer le plat de pâtes...
J’opte donc pour une traversée prudente, à côté du vélo, sur le passage protégé. Je guette le trou dans le flot. Il se présente. Je descends du trottoir, et de ma démarche d’antilope, je m’engage, poussant par sa corne le fidèle célérifère.
Là-bas, la Volvo est à cent mètres, elle approche.
N’étant pas d’un naturel fluet, je me considère comme visible par tout individu autorisé à prendre place derrière un volant. De plus, prudent et matois que je suis, j’ai investi sans compter dans des systèmes d’éclairage clignotants qui me font souvent traiter de Père Noël, et qui font la honte de ma fille, lorsque par hasard mes chemins croisent les siens.
J’ai déjà traversé la première moitié de l’avenue, j’attaque la seconde.
La Volvo a progressé elle aussi, contrairement à son chauffeur, (mais ça, je ne le sais pas encore !) elle est à présent tout près. Je pourrais presque sentir son souffle chaud.
Je suis engagé, donc j’avance sans mollir, mais en ne perdant pas de vue le monstre hideux et sombre.
Monstre hideux et sombre qui me néglige ; monstre hideux qui s’obstine et s’engage sur le passage protégé.
Sur de mon bon droit, je poursuis mon chemin, cherchant du regard le regard du boeuf qui est aux manettes ainsi que le plus court chemin qui me mènera en lieux sûrs si le charollais en question ne profite pas des quelques centimètres qui lui restent pour enfoncer sa pédale de frein et m’épargner le bain de sang.
J’ai encore quatre pas à faire.
Il avance.
J’ai encore trois pas à faire.
Il avance.
J’ai encore deux pas à faire.
Il freine !
Il vocifère : « Tu peux pas passer ailleurs ?! »
.... Je suis sur un passage protégé !
Il vocifère : « C’est juste pour faire chier tout le monde !? »
.... Il est seul !
Il vocifère : « Espèce de con ! »
Une illumination me traverse l’esprit : Chirac, le vieux Chirac !
Je m’arrête (sur l’îlot, en sécurité), je relève mon casque, je baisse mes lunettes, je lui adresse mon sourire des grands jours, et en le regardant bien dans les yeux, je lui réponds : « Enchanté, moi, c’est Dominique ! »
Je perçois une sorte de râle : le malotru s’étouffe de rage.
Je m’éloigne calmement : j’voudrais tout de même pas devoir lui faire du bouche à bouche !
© dominique villy mars 2008