Œil de DOM
Se coucher tard nuit. Me lever matin m’atteint.

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La chaise

mardi 3 avril 2012, par Dominique Villy

AVERTISSEMENT : Tout ce que tu vas lire ci-dessous est rigoureusement réel.

Donc, si tu veux, ce que je vais te raconter là, ça s’est passé mercredi dernier. (Encore une fois, c’est un texte sorti de mes archives : il a quinze ans !)

Je travaille actuellement dans une institution (non, connard, c’est pas catho !) qui s’occupe de gamins explosés dans leur tête, groupes d’adolescents particulièrement gratinés, rejetons de familles « tuyaux de poêles », où l’on s’encule à la veillée, en épongeant les bouteilles volées l’après-midi.

Un monde où l’on sait rire.

Mercredi dernier, dernier, réunion de 15 h à 17 h, entre la direction, les éducateurs du semi internat et le personnel enseignant... Dans ces établissements, on a la réunionnite aiguë. Il ne se passe guère de journées sans causerie autour d’une table. Ca jacasse, ça prend des mesures, ça refait le monde... M’en fout, c’est payé en heures sup. J’y vais, je me tiens (parfois) tranquille, et, gling ! j’encaisse.

Bon.

Mais voilà, mercredi, j’avais la crève.

Et chez moi, avec l’âge, la crève prend des proportions pharaoniques (ta mère). Je vire au bleu violacé, le pif clignote pire qu’à l’ordinaire, je racle comme un vieux sabot, j’éternue par rafales de six minimum, une horreur. Je perds ma voix, alors ça m’énerve, alors je force, pour ne produire que de ridicules chuintements de chauve-souris. La rage me prend, je postillonne, je suffoque à moitié en distribuant tout à l’entour de longs fils glaireux de morve poisseuse.

Evidemment, dans ces cas d’extrême urgence, l’étui standard de kleenex ne suffit pas : C’est le rouleau de sopalin, modèle collectivité, qui me dépasse de la poche et qui, invariablement, en tombe quand j’arrive au troisième étage, semant une joyeuse pagaille dans l’escalier.

C’est gai.

Mercredi, donc, comme je participais pour la première fois à une « réunion institutionnelle avec option analyse de la pratique », je souhaitais me faire oublier...

Raté !

D’abord, j’arrive en retard : Je ne voyais plus la route, à cause des éclaboussures sur le pare-brise... Opaque, qu’il était devenu. J’ai dû faire le chemin en nocturne, conduire au bruit, un peu comme quand on retapisse ses vitres avec de la moquette : ça isole bien.
Puis, grand moment : l’arrivée dans la salle de réunion. Bonjour le choc thermique.

_8° dehors

+25° dedans

résultat : Toux grasse et chargée, sans trêve ni rémission durant dix minutes...
donc, yeux larmoyants .
donc, sopalin
donc, graillonnements divers et variés donc, JE SUIS REPERÉ

Zen, vieux, sois Zen !

Au moment du tour de table, pour les questions diverses, mon interlocuteur, craignant le pire pour sa cravate (il est juste en face) me sauve la mise en n’insistant pas pour que je prenne la parole ... Ouf.

Un espèce de ronronnement de bla bla bla s’installe. On m’oublie, je résiste à l’envie de renifler, je me contente de me moucher comme une bourgeoise qui serait sortie pour prendre le thé chez une amie chère, j’évite de péter, bref, j’assure.

Sournoise, la fièvre s’installe. Je sens mes oreilles, c’est un signe.

Je commence à ruisseler. Je ne comprends plus un traître mot à ce qui se dit. Le sol commence à devenir mou. Putain ! Une rechute de palud. Pourvu que dans le délire, je ne me mette pas à sauter à pieds joints en gueulant comme un âne rouge.
De Dieu, Zen, sois Zen.

Quatre vingt dix minutes se sont écoulées ... Ça s’étire. Sont en train de se débattre avec un problème d’accompagnement pendant les repas... Je suis dans le flou, mais je maintiens à force de volonté un semblant de dignité. M’auront pas, les chancres. Je résiste. S’il faut tenir, je tiendrai. Je jette un coup d’oeil au torchon sur lequel j’ai pris quelques notes ... C’est illisible. Le papier est trempé, à demi dilué par la sueur. L’encre bavoche, formant volutes glauques et auréoles disgracieuses.
J’ai des crampes dans les guiboles. Marre. Je vais essayer de croiser les pattes. Ma tête résonne. C’est comme si on me faisait couler un sac de noix d’une oreille à l’autre. J’ai chaud. Bientôt fini. Dans quinze minutes, ma couette. Dormir. Dormir. Dormir. Dormir. Dormir.Tiens, je vais commencer tout de suite. Je vais garder les yeux ouverts, mais dedans, je fais le vide. Rester présent, par la carcasse, mais dormir ...dormir ...

BORDEL ! A ce moment précis, ma chaise s’écroule sous moi, cassée net !