Accueil > Textes > Portrait de groupe...avec un inconnu !
jeudi 22 mars 2012, par
L’intrusion d’un inconnu dans des groupes constitués et identifiables m’a toujours semblé être le summum du canular. Le décalage complet, c’est être là où personne ne vous attend.
On se souvient (peut-être), à l’époque Mitterrand, de ce type complètement étranger aux sphères politiques qui se faisait fort de paraître sur les photos des magazines, dans le sillage des « grands de ce monde ». Avouons que parmi la brochette de guignols, il était souvent le plus drôle.
A notre niveau moins médiatisé, on a tous été, au moins une fois j’imagine, confronté à une vieille photo de famille, jaunie, cornée, ayant subi les outrages du temps et qui nous interpelle par la présence d’un des membres du groupe, qui reste mystérieux, sans identité, effacé pour tout dire, de la mémoire collective des survivants de cette époque, parfois pas si lointaine que ça.
« Mais, sacré tonnerre, qui c’était donc, cette petite brunette boulotte qui colle de si près le Tonton Marcel ? »
(L’épouse du Marcel, elle, s’en souviendrait certainement...)
" J’arrive pas à remettre ce grand gaillard un peu joufflu, là, à gauche... Sa tête me dit quèque-chose, mais non, j’vois plus qui ça pouvait bien être ! Pourtant, s’il était au mariage de la Mauricette, ça devait être un proche ! » (Peut-être tellement proche qu’on s’est dépêché de l’oublier ...)
C’est pour vous dire comme parfois on prête attention à l’entourage, ou comme la mémoire est sélective... ou les deux à la fois.
J’avoue que lorsque je m’immerge dans ma photothèque, (300 000 images environ) j’ai parfois un peu de mal à reconnaître telle ou telle personne. La palme de la difficulté revenant sans aucun doute possible aux photos de bébés : toutes celles qui ne sont pas immédiatement référencées sont vouées à se retrouver empilées en vrac dans la boîte marquée ? et n’ont que très peu de chance d’en ressortir un jour.
A l’inverse, je suis désormais sûr et certain que ma tronche (!) figure maintenant, depuis huit ou dix ans, dans le fond d’un tiroir, dans une boîte à chaussures recyclée en coffre à malices, ou dans un album de famille, quelque part, chez quelqu’un dont je ne sais rien, et qui ne sait absolument rien de moi, et ceci pas seulement par la force du hasard :
Dimanche ensoleillé de début d’été. Envie d’oxygène, de verdure et de paysages mollement alanguis. Nous avions donc chaussé les godillots crantés, remplis de sandwiches comté / rillettes une poche du sac à dos, et de café / sucreries l’autre poche. Carte IGN, boussole pour un semblant de sérieux, couteau et briquet d’amadou façon Crocodile Dundee, et hop, en route pour une randonnée dans la jungle hostile, autour ... des lacs du Jura. Ben oui, on a les aventures qu’on peut.
Nous, on aime bien marcher pendant que le pékin se restaure. Les pistes sont alors libres, la vue n’est pas brouillée par le sable que soulèvent les caravanes, les grands fauves, nullement dérangés par le vrombissement des marcheurs, se laissent approcher, bref, les immensités sont sereines.
Une copine nous accompagnait ce jour-là. Elle traversait une période un peu difficile, tendance moral dans les chaussettes, et les chaussettes pleines de trous. Il y avait urgence à la requinquer, et tout était prétexte à tenter de déclencher une rigolade grasse et salutaire. Un genre de SAMU moral, quoi.
Je m’y entends bien.
Mais la tâche était ardue.
Je m’y étais attelé sans faillir ; en deux heures, j’avais pratiquement épuisé mon stock ordinaire de jeux de mots foireux, de calembours branlants, de blagues éculées, j’avais même inventé quelques contrepèteries oiseuses, tout ça en vain.
Lamentable !
Echec sur toute la ligne. La potesse ne décoinçait pas, et je commençais à envisager l’idée de la balancer dans le lac, lestée d’un bon bloc de granit, pour abréger ses souffrances.
Merde, alors.
C’est agir qu’il fallait ! De l’action. Bon Dieu, mais c’est bien sûr.
(Emprunt au Commissaire Bourrel, fin des années soixante, quand la télé était encore en noir & blanc, et ne comptait qu’un seul programme...)
Avez-vous déjà remarqué comme parfois, lorsqu’un problème est énoncé de façon simple, sa solution n’est pas loin ?!
Agir, faire quelque chose, trouver une idée incongrue...
A ce moment de la randonnée, nous parvenons au sommet d’une petite butte qui domine une combe barrée par un épais buisson. Un brouhaha confus s’élève de la partie de la combe masquée par ce buisson. Nous contournons le buisson. C’est une scène digne de la dernière page des albums d’Astérix le Gaulois qui s’offre : une rafale de tables de camping installées en rond, dressées de couverts, chargées de victuailles et de bouteilles, des sièges et des glacières tout à l’entour, un chien qui court après une balle, et non loin de là, une trentaine de personnes, à vue d’oeil, qui s’installent sur une double ligne, face au trépied surmonté de l’appareil photo d’un quelconque Tonton Jeannot, pour le cliché souvenir de cette bonne journée.
Bingo ! Voilà l’Idée !
Je me débarrasse à la volée du sac à dos, je me précipite vers le groupe, je force le passage entre un gars et une fille, que je prends d’autorité par la taille et, ignorant les cris de surprises de ma voisine, je fixe l’objectif d’un oeil de braise. L’opérateur, concentré sur ses réglages, n’a rien vu venir ; encouragé par les cris, là, sur la droite, il déclenche - clic clac, merci kodak ! Le voici fixé pour la postérité, le p’tit groupe, augmenté d’une bouille de rab, ... la mienne.
Eh ben, voilà, il n’en fallait pas plus pour la dérider un peu, la gaillarde... Quand on est bon à rien, faut être prêt à tout.
© Dominique Villy