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dimanche 12 avril 2020, par
Samedi 28 mars
La journée passer à gaver wetransfer de vieux souvenirs poussiéreux mais tellement émouvants et à l’inciter à filer de toute la vitesse de ses petites pattes chez celui-ci, chez celle-là, chez Machin, chez Machine, chez Truc et à leur déverser sur les espadrilles, ou sur le paillasson quand ils ne veulent pas ouvrir, des dizaines et des centaines de petits morceaux d’un passé...pas si récent que ça. Je bondis comme un diable sur ma chaise branlante, complètement excité de remuer tout ça....
Dimanche 29 mars
Ciel bas, gris, encombré de moches nuages. La température à chuté de 10 ° durant la nuit... Me faut même partir à la recherche d’une polaire pour prendre le petit déjeuner. Pas envie.
Pas envie du tout !
La radio déverse des tombereaux de nouvelles déprimantes.
Vite, glisser un CD dans le lecteur. Bonne résolution de cette triste période : m’inoculer chaque matin deux heures de musique classique. Découvrir. Écouter. Apprendre. Étendre le domaine du plaisir auditif. Aujourd’hui, La symphonie du Nouveau Monde, Anton Dvorak. Ça pète.
Retour rapide à mes chères archives photographiques.
Wetransfer. Charger, envoyer. Charger, envoyer.
En vrai, ce n’est pas tout à fait ça. C’est plutôt : charger..................attendre des heures, en regardant la mécanique qui mouline, qui mâche, qui remâche, qui déglutit, lentement, lennnnnntement. Et qui finit par envoyer, en étouffant un rôt d’aise. Longtemps après. Lonnnnnnnngtemps.
Qu’importe. Du temps, j’en ai. Je ne le compte pas. C’est un luxe. Y a pas un p’tit chef à la con, derrière moi, qui jappe, qui grogne, la bave aux lèvres, chronomètre dans une main et fiche de satisfaction/client dans l’autre. Ma prime de fin de semaine-fin de mois-fin de carrière ne dépendra pas de ma célérité. Un luxe, je vous dit.
Sortir tout de même.
Épuiser le crédit "sortie". Une heure maxi, comme tout le monde. Attestation en poche, carte d’identité aussi.
Pétard ! Y fait froid. Y neige même.
Se faire violence pour descendre trois rues, en remonter une, virer une fois à gauche, une fois à droite. Les dimanches dans le quartier ne sont jamais trépidants, aujourd’hui c’est glauque. Pas un humain. Pas une voiture. Juste un corbeau esseulé qui traverse le ciel. Sans m’adresser le moindre signe. À chacun ses soucis. Salaud !
Retour rapide à la case départ. Pas prononcé un mot. Je sais même pas si j’ai pensé.
Et cette saleté de téléphone qui n’a pas vibré une seule fois dans ma poche.
Mon vieux pote John le Clown me disait toujours : "- Moi, un téléphone portable ?!?! Tu rigoles ou quoi ??? C’est les domestiques, qu’on sonne ! "
Et ben là, qu’est-ce que j’aimerais être un domestique !
S’affairer aux fourneaux. Cuisiner. Improviser quelque met réparateur de moral en berne. Je ne connais rien de mieux pour se réparer. Ça marche. Mes meilleures tartes, je les ai toujours préparées à la veille des obsèques d’êtres chers...
S’affaler sur le lit, bien avant 21 heures, épuisé comme quelqu’un qui aurait gravit le Tourmalet sur un vélo lesté de sacoches de plomb.
Pfffff ! Les temps sont durs. Comment va-t-on sortir de ce truc ? Dans quel état ? Avec quelles envies ? Avec quelles haines ?