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mercredi 6 mai 2020, par
Mercredi 6 mai 2020
On en a vus des dizaines, sur nos écrans.
Les humains sont en retrait.
Les bêtes avancent.
Des canards en ordre de marche sur nos places publiques, devant Notre Dame, à Paris, mais aussi à Besançon, des marcassins sur nos trottoirs, des chèvres sauvages dans un centre ville du Pays de Galles, un puma dans la rue à Santiago du Chili, une harde de cerfs en maraude à Nara, Japon, un renard explorant un quartier chic de Londres, une raie manta dans le port de plaisance de Sète, des phoques sur une plage normande, un chevreuil dans la pelouse de Sandrine, pour le plus grand plaisir de ses bambins, et bien d’autres...
Les humains se cachent, les bêtes se montrent.
Dame nature à horreur du vide.
Les humains sont terrés, les animaux s’aèrent.
Les bêtes préparent leur revanche.
Les bêtes visitent.
Les bêtes s’approprient les espaces.
Les bêtes organisent l’après.
Nul doute que la tâche est immense.
Nul doute qu’elles ne manquent pas d’inventivité.
Les bêtes tracent à grands traits les contours d’un monde à venir :
Un coq, juché sur le dossier d’un banc public :
"D’abord laisser au virus le soin de débarrasser la surface de ce globe de la plupart de bipèdes. Attention : en garder quelques-uns. Il faudra des bras pour s’occuper des bas travaux".
Une biche, plus vindicative qu’on l’imagine.
"Choisir pour ça parmi ceux qui ne montrent que très peu d’humanité dans leur caractère. Ils oublieront plus vite leur origine et seront moins tentés d’y retourner. Il semble que l’on dispose d’un vivier intéressant dans ce qu’ils appellent les "politiciens" ainsi que dans la catégorie "grands patrons du CAC40".
Un cochon, remonté comme un coucou de la Forêt Noire, le poing levé :
"Conserver les lieux d’enfermement, zoos, cages, parcs grillagés, cellules, réduits obscurs, cagibis, soues, niches,.... Nous les y logerons".
Un Jeune taureau, plein de hargne :
"N’oublions pas les abattoirs, les lieux de sacrifices rituels, les espaces dédiés au gavage des oies, les arènes, les cages à écureuils, les laboratoires pharmaceutiques"...
Un vieux loup, cacochyme et grisonnant autant que sage :
"Gardons nous cependant de trébucher sur les mêmes écueils que les humains : vivons au quotidien, n’amassons pas, ne thésaurisons pas, consommons juste le nécessaire, et si ce nécessaire est notre voisin, mangeons-le sans malice, sans cruauté".
Les bêtes n’ont pas conscience du Grand Soir qui se prépare.
Les bêtes n’ont que faire de l’apitoiement de l’ humain, jeune ou adulte. Les bêtes n’en ont pas besoin. Les bêtes vont droit au but. Se nourrir et assurer la descendance. Assurer la prolongation de l’espèce.
Le chien obèse vautré sur le canapé, le matou castré casanier, la corneille à qui deux ou trois rémiges ont été sectionnées, manière de la dissuader de s’évader, peut-on encore les nommer des bêtes ?
Je fabule.
Non, ces bestioles qui s’aventurent dans nos villes, n’ont pas de projet.
Pas d’envie.
Elles sont seulement habitées par une curiosité toute animale, par un instinct naturel qui les incite, en son absence, à mordre sur le territoire de l’ennemi héréditaire.