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mercredi 22 avril 2020, par
Mercredi 22 avril
Journal de confinement page 25
Pendant des années, quand il me fallait repartir du logis, une fois le ragoût de la mi-journée englouti, je me suis inventé des quantités de prétextes...pour rester. Pour ne pas y retourner.
Pour procrastiner.
Pour ne pas endosser de nouveau pour quelques heures mon costume de prof, de clown, de tragédien.
Pour briser le rythme boulot-miam miam-boulot- miam miam-dodo-miam miam- boulot...
Certains de ces prétextes étaient complètement foireux. On ne peut pas être bon partout. À distance, j’aurais eu honte d’y céder.
Mais d’autres étaient excellents. Excellentissimes. Cependant, jamais, Ô grand jamais je n’ai craqué.
Ja.Mais.
Ce n’est pas un exploit.
Tu as un boulot, tu reçois un salaire, donc tu vas travailler. C’est la norme.
Quand j’ai cessé d’échanger mon temps contre un salaire, j’ai eu le vertige. Tout ce temps disponible ! Toute cette vacuité.
Ce vertige m’a même assailli quelques mois avant la fin de mes activités.
" Qu’ est- ce que je vais faire de mes journées ? À quoi vais-je occuper mon temps " ?
Ma culture cinématographique étant pleine de trous, j’ai envisagé d’y remédier.
Pour quelques euros, on trouve sur les sites et chez les brocanteurs des films, des dvd, des coffrets, bref, tout ce que j’avais raté depuis quarante ans. Pendant tout l’hiver, j’ai fouillé, cherché, déniché des perles...et des daubes.
Chaque paquet recueilli dans le fond de la boîte à lettres me tranquillisait.
" Voilà pour une matinée d’hiver, voilà pour un après-midi de fainéantise, voilà pour une soirée d’ennui..."
Bilan, douze ans après : seule la série Jacques Tati est sortie du tiroir plein à craquer, et encore, parce qu’un copain venait de s’offrir un vidéo projecteur et un écran géant...
Cette soif de culture n’était que la manifestation d’une crainte du temps libéré.
En réalité, le temps se laisse facilement domestiquer.
Faut le prendre comme un cadeau.
Faut pas le bousculer.
Il lui faut des égards.
Du respect.
C’est important de le ménager, même s’il n’est pas compté.
En même temps, mon temps, le tien, celui des autres est compté.... Seule la date de l’échéance reste inconnue.
Heureusement.
Et là, c’est confinement.
Certains râlent.
Certains piaffent.
Certains dépriment.
Certains se vengent sur la nourriture, d’autres sur les vidéoapéros, d’autres encore infligent quatre promenades d’une heure au chien, voire au lapin domestique.
Allons, reste sensé.
Tu n’as pas faim, cesse de te remplir.
Tu n’as pas soif, cesse de te bourrer.
Le chien n’a pas de montre connectée, cesse de lui faire aligner les kilomètres, quant au lapin, au canard, au hamster, jovial ou pas, d’habitude tu te contrefiches de les voir enfermés dans une cage aux dimensions ridicules, alors cesse tes simagrées.
Le temps est un cadeau.
Savoure-le.
Si les infos te minent, coupe le son.
Retourne ta télé, colle une cible au dos et retrouve tes fléchettes.
Fais taire RTL et glisse Dvorak ou ACDC dans le lecteur.
Arrête de consulter Libé ou Le Monde en ligne et va chercher tes Gaston Lagaffe au grenier.
Tu peux aussi lire (relire ?) La Divine Comédie, les Rougon Macquart ou l’intégrale de Jonathan Coe...
Prends le temps puisque tu en as...