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jeudi 23 avril 2020, par
Jeudi 23 avril 2020
D’abord le merle.
La nuit est encore d’encre.
Il marque déjà son territoire. Fièrement campé sur les brindilles qui lui servent de pattes, il est le premier à pousser ses trilles.
Son chant est harmonieux et inventif. Il est tellement fier de ne pas avoir à partager l’espace sonore... Il loge droit devant, légèrement à l’est.
Ici c’est la ville mais les espaces de verdure sont nombreux. Il en a colonisé un, tout près.
Hélas il m’aura réveillé trop tard : la pluie d’étoiles filantes annoncée est déjà terminée.
La lumière commence à poindre. Les corneilles sont sur le départ.
La plus téméraire ne va pas tarder à tracer sa route... La voici. C’est une vieille. De sa voix rauque elle encourage le groupe.
Elles vont toutes se diriger vers l’ouest.
Chaque matin c’est le même ballet donné sur un fond de scène encore sombre. Le grand éclairagiste est une fois encore débordé. La troupe est là, lui n’y est pas. Elles passent en vol serré au-dessus de mon vélux. Elles traversent le ciel dans un concert assourdissant. Les jeunes voix se mêlent aux anciennes. Chacune y va de son anecdote.
Elles partent pour rejoindre les champs nourriciers, à cinq ou dix kilomètres de là.
Chaque matin à l’aube.
Par tous les temps.
Elles précèdent immanquablement le lever du jour. Une merveille de régularité. Le soir, au retour, juste avant le coucher du soleil, certaines font une escale sur le toit de la maison, pour un débriefing sonore de leur journée. C’est magique. Je ne m’en lasse pas.
Ensuite mésanges et moineaux commencent à s’agiter dans une haie toute proche. Ça piaille. Ça se criaille. Ça se chicore à peine réveillé. Querelles de couples, bagarres de voisinage, de territoire ? Va savoir. En tous cas ce petit monde a bien dormi, à en juger par la vigueur des échanges...
C’est alors que d’autres corneilles reprennent possession du ciel : les retardataires, qui mettent seulement le cap sur la campagne et les étourdies qui reviennent sur Chamars, parc aux arbres centenaires de centre-ville, où elles s’étaient regroupées pour la nuit. Ont-elles oublié une amie ? Un trousseau de clés ? Une attestation de sortie dérogatoire ? Leur boussole ?
Les corneilles disparaissent, le menu fretin des haies a trouvé un terrain d’entente et se calme enfin.
Pigeons et tourterelles prennent alors le relais.
Comme ils sont bruyants.
Chacun son tour ils lancent leur mélopée monotone. Disséminés dans différents points du quartier, ils respectent des temps de parole et ne s’interrompent pas les uns les autres. Les pseudo journalistes de BFM TV seraient bien inspirés de suivre ces enseignements...
Confinement oblige, quelques rares véhicules couvrent à peine le chant de cette nature citadine. Le retour à la furie de mise à l’heure des départs pour le boulot va nous surprendre...comme l’inverse nous a mis mal à l’aise. En ville le silence peut être pesant. Écrasant même.
Le soleil chauffe maintenant.
L’insecte se met à l’œuvre. Il est petit mais nombreux. Il est actif. Il bosse. Il trime. Il s’acharne. Il est bavard. Il stridule. Ses milliers de petites voix, de petits cris, de grincements, de couinements se mêlent, se superposent, s’empilent, s’opposent, et donnent à l’air ambiant une vibration incessante que l’oreille intègre et finit par ne plus entendre alors qu’elle est partout...
Arrive alors l’heure où l’humain s’extrait de sa niche, allume la radio, lance la cafetière, tranche le pain craquant, bouscule les chaises. C’en est terminé des sons de la nature.
Seuls les avions de chasse helvétiques pourront nous faire dresser l’oreille en direction du ciel durant les douze heures à venir...