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vendredi 13 novembre 2020, par
Quand tu circules à moto, sur le même itinéraire que celui que tu as emprunté à vélo quelques jours auparavant, tout est différent.
Je ne parle pas là du cuissot qui chauffe, non.
Je veux plutôt évoquer l’état d’esprit dans lequel tu verses, quand tu chevauches cet engin.
D’abord tu as décidé une bonne fois pour toutes que c’est toi le patron.
Se laisser griser par la vitesse, c’était bon quand tu n’étais qu’un jeune couillon équipé de treize grammes de matière grise.
À présent, vieux schnock assumé, tu choisis.
Tu traverses un paysage grandiose, tu t’en mets plein les yeux, et si le bourrin qui te colle aux fesses s’impatiente, et ben tu ne l’empêches pas de te dépasser dans un nuage noir de fumées d’échappement, tu lui adresses même un p’tit signe, c’est peut-être la dernière manifestation d’humanité tranquille qui lui sera donnée, avant un vraisemblable choc frontal avec le camion du laitier qui fait la tournée des fermes...
Tu n’as rien à prouver. Si d’ailleurs c’était le cas, tu prendrais une licence et tu louerais de temps en temps le droit de rouler sur un circuit, Dijon Prenois, le plus proche, ou un autre. Certes, c’est un peu onéreux, mais là tu es assuré de ne voir arriver personne en face, et tu es aussi assuré que les véhicules qui tournent avec toi sont en bon état !
De plus si tu tombes...tu ne finiras pas guillotiné par ces merveilleuses barrières d’insécurité !
Si tu circules à moto, faudra cependant pas oublier de jeter un œil de temps à autre à la jauge à essence. Nous, les citadins, on ne se rend pas forcément compte : quand tu es en pleine cambrousse, le poste à essence le plus proche peut parfois se situer à vingt ou trente km.
C’est long, s’il faut pousser.
Autrefois, du temps de notre belle jeunesse, hier donc, je me souviens qu’on pouvait se permettre de choisir un marque d’essence. Chaque village comptait une ou deux stations. En fonction des cochonneries que le pétrolier offrait pour un plein, les mômes tannaient le père de famille, qui conduisait le char, pour qu’il s’arrête ici ou là. Chez Esso, c’était la jolie queue de tigre, chez Antar tu recevais des pièces d’un puzzle en trois D, un Bibendum blanc, effigie d’un bonhomme jovial constitué de pneus de différentes tailles empilés.
Autrefois, pas d’automate de distribution d’essence. Il fallait attendre que le mécanicien sorte de la fosse où il travaillait dans les entrailles d’une 404, d’une Dauphine ou d’une Panhard.
On l’attendait sans grogner.
Il servait d’autorité au client, dix litres, vingt litres, au moyen du seul pistolet disponible. Puis il encaissait simplement les billets, qu’il glissait d’une main noire de cambouis dans la poche de poitrine de sa cote.
Tout ça avec un mégot de Boyard au bec.
Et on repartait, et lui aussi.
C’était simple. Pas d’écran qui brille, rendu illisible par les agressions du temps, pas d’automate qui bugue...
Et si on roulait la nuit, me diras-tu ? Et ben on le savait. On prenait ses précautions.
Je dois être le dernier représentant de Cromagnon à avoir effectué un déménagement à Paris, avec dès le départ de Besançon trois jerricanes d’essence dans le coffre de la Honda. C’était un week-end de grève des distributeurs de carburant, il était inenvisageable de risquer d’abandonner la voiture en panne sèche, chargée des affaires de notre fille, sur une aire d’autoroute.
Grand bien me fit. La réserve d’essence me permit d’arriver sans encombre.
Quand on circule à moto, on respire. On respire à pleins poumons. On retrouve le même genre se sensations olfactives que lorsqu’après avoir cessé de consommer du tabac, on retrouve l’odorat, dans les mois qui suivent.
Pour moi, c’est comme-ça que ça s’est manifesté.
Tu traverses un village...et tu localises illico le fournil du mitron.
Dans cet autre village, tu repères à coup sûr le bouilleur de crû clandestin.
Et là, quand tu suis sagement cette vieille Mercos, tu comprends tout de suite que le gaillard ne roule pas qu’au diesel.
Les relents d’huile de friterie ne te trompent pas...